(source : Reporterre/Magali Reinert – 16 mai 2024)
À coups de millions de dollars, la Fondation Bill & Melinda Gates contourne et façonne les politiques internationales en matière d’agriculture. Les grands gagnants de ce jeu antidémocratique : les agro-industriels.
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La politiste souligne que « ce discours domine dans de nombreuses instances de l’ONU sur le développement agricole et la sécurité alimentaire, alors que les principales explications de la faim dans le monde sont la pauvreté, le manque d’accès à la terre et les guerres, et seulement très rarement un déficit de production. »
« Les entreprises de l’agroalimentaire siègent à la table des décideurs de l’ONU »
À la COP28 à Dubaï, en décembre dernier, Bill Gates a été accueilli comme une star. Le milliardaire étasunien a reçu les applaudissements des représentants des États lors d’un sommet dédié à la transformation des systèmes alimentaires, organisé le 1er décembre par la présidence émiratie. Au nom de sa fondation Bill & Melinda Gates (BMGF de son acronyme anglais), celui qui a fait sa fortune grâce à l’empire Microsoft a promis, en partenariat avec les Émirats arabes unis, une enveloppe de 200 millions de dollars (187 millions d’euros) pour l’innovation en agriculture.
Ce coup de projecteur — c’était la première fois qu’une déclaration sur l’agriculture était adoptée lors du plus grand sommet dédié au climat — illustre la place jouée par la BMGF dans le cadrage international de la question agricole. Et pour cause. Déjà dominante dans le secteur de la santé, la BMGF est devenue le plus gros investisseur à vocation philanthropique en agriculture. Ses fonds sont immenses. Depuis sa création en 2000, la fondation a reçu de Bill Gates plus de 59 milliards de dollars (55 milliards d’euros) selon Forbes. D’abord par un transfert de fonds de Microsoft puis par les fonds propres du milliardaire, qui tire également sa fortune – 128 milliards de dollars (120 milliards d’euros) début 2024 – des revenus du capital de sa société d’investissement Cascade Investment.
« Un outil pour contourner les politiques publiques »
Quatrième fortune mondiale, Bill Gates est déterminé « à construire un monde meilleur, en conformité avec [ses] idéaux », remarquait Peter Hägel, qui a participé au livre Philanthropes en démocratie (Puf/Vie des idées, 2021). Pour cela, l’« outil » de la philanthropie lui permet « de contourner, de remplacer ou de façonner les politiques publiques », selon le spécialiste de politique comparative internationale à l’université américaine de Paris. Ainsi, tout à fait légalement, Gates et les autres philanthropes — auxquels on pourrait ajouter les grands groupes agro-industriels auxquels ils sont liés — « violent le droit à l’autodétermination collective », résume le chercheur.
Un discours « à l’unisson des intérêts des géants industriels »
La fondation Gates entend résoudre les problèmes des paysans pauvres en « investissant dans l’agriculture en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud »parce que « la croissance du secteur agricole est le moyen le plus efficace de réduire la pauvreté et la faim », selon le site de la fondation. Celle-ci n’a pas donné suite à nos questions.
Cette vision productiviste est mise en pratique dès 2006 dans le programme phare Alliance pour la révolution verte en Afrique (Agra). Depuis, l’Agra est la cible de nombreuses critiques par les organisations de développement. Une étude internationale publiée en 2020 par la Fondation Rosa-Luxembourg souligne les « fausses promesses » d’un programme qui prétendait « doubler les rendements agricoles et les revenus de 30 millions de ménages de petits producteurs de denrées alimentaires d’ici 2020 ». L’étude dresse un bilan résolument négatif de l’Agra : « Les augmentations de rendement des principales cultures de base dans les années précédant l’Agra ont été aussi faibles que pendant l’Agra. Au lieu de réduire la faim de moitié, la situation dans les treize pays concernés s’est aggravée depuis le lancement de l’Agra. »
Le panel international d’experts indépendants sur l’alimentation Ipes Foodanalyse également dans une étude, publiée la même année avec la fondation suisse Biovision et l’Institut des études du développement britannique (IDS), l’approche technosolutionniste d’Agra pour qui « les technologies numériques, financières et biologiques modernes et les intrants externes, ainsi que le renforcement du secteur privé, sont les clés de la réussite », et de pointer que « parallèlement à la promotion des technologies modernes auprès des agriculteurs, l’Agra cherche à influencer les gouvernements nationaux pour qu’ils adaptent leurs politiques afin de soutenir l’adoption de ces technologies ».
En 2023, la BMGF a remis 200 millions de dollars au pot d’Agra, portant à près de 800 millions (756 millions d’euros) les aides versées au programme. Et de continuer à défendre les vertus de son modèle agricole dans différentes instances. « La Fondation Gates assume une activité d’influence auprès des gouvernements pour diffuser sa vision de l’agriculture. Son discours, à l’unisson des intérêts des géants industriels du secteur, se concentre sur l’augmentation de la productivité agricole, en utilisant plus d’intrants, des biotechnologies et autres nouvelles technologies », confirme Eve Fouilleux, directrice de recherche en sciences politiques au CNRS.
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